L’EST REPUBLICAIN, Samedi 9 Janvier 1909 (Edition du matin)

Drame à Frolois

Dans un accès de jalousie, Un mari étrangle sa femme

 

(De notre envoyé spécial) Par téléphone, Frolois, vendredi.

Un crime vient d’être commis à Frolois. On sait que Frolois est une commune du canton de Vézelise, située à 17 kilomètres de Nancy et à 12 kilomètres de Vézelise.

Albert Didion, 35 ans, ouvrier d’usine, travaillant à Neuves-Maisons, a tué sa femme, née Julia Charrois, 29 ans.

Mère de quatre enfants !

Jeudi, Mme Didion avait lavé tout l’après-midi au lavoir communal de Frolois et ses quatre enfants avaient été gardés par sa mère qui habite également Frolois.

Vers 5 heures, Mme Didion rentra chez elle. A six heures du soir, la grand-mère envoya l’aînée des fillettes, âgée de cinq ans, pour voir si sa mère était rentrée.

La fillette ne trouva pas sa mère et vint prévenir sa grand-mère, qui à son tour se rendit chez sa fille.

 

Etranglée ! – Le mari est le coupable

Après quelques investigations, la pauvre vieille trouva sa fille dans le grenier, étendue sur le plancher et ne donnant plus signe de vie. Elle avait été étranglée. On n’eut pas de mal à savoir que le mari était le coupable.

En effet, Didion, qui était allé reprendre aux usines de Neuves-Maisons son travail de nuit, avait déclaré à un de ses camarades de chantier, habitant également Frolois : « Je viens de tuer ma femme. »

 

Le parquet à Frolois. – Le meurtrier se constitue prisonnier.

Vendredi matin, M. Sadoul, juge d’instruction, s’est rendu à Frolois. Il était accompagné du docteur Pierre Parisot, médecin légiste, de M. Midon, préparateur du docteur Parisot, et de M. Bourgeois, greffier d’instruction.

Didion s’est constitué prisonnier vendredi matin à la gendarmerie de Neuves-Maisons.

 

Comment le crime a été commis. – Il y a eu lutte

D’après les constatations médico-légales, Didion aurait pris sa femme par derrière et l’aurait étranglée en tirant violemment sur son caraco.

Il y a eu cependant lutte, car des traces d’ecchymoses ont été relevées sur la victime et le meurtrier.

 

Le mobile du crime. – Soupçons injustifiés

Le mobile du crime est la jalousie. En effet, Didion avait depuis quelques temps des doutes sur la vertu de sa femme ; il lui reprochait d’être trop bien avec un vieillard de 76 ans dont elle allait faire le ménage.

Mais ces soupçons étaient complètement injustifiés, la conduite de la victime étant exemplaire.

Ajoutons que Mme Didion était dans une position intéressante. Le misérable meurtrier a été amené à Nancy vendredi par le train de trois heures et demie.

Est-il besoin de dire que ce terrible drame a causé dans la si paisible localité de Frolois la plus profonde et la plus douloureuse impression.

–C. L.

Les détails

Voici de complets détails sur le meurtre, accompli jeudi, de la femme Didion par son mari, crime qui a causé dans cette paisible localité de Frolois une profonde et douloureuse impression :

 

Le meurtrier

Albert Didion, le mari meurtrier de sa femme, est originaire de Frolois où ses parents ont été d’honnêtes tâcherons, allant travailler dans les vignes pour les propriétaires de l’endroit, lorsqu’ils avaient terminé dans les quelques champs qu’ils possédaient.

Didion est le seul fils de sa famille, deux de ses sœurs travaillent à Paris, et une troisième habite le département de la Lozère.

Ayant perdu son père avant la conscription, il fut dispensé, comme fils de veuve, de deux années de service.

Didion fit son année au 69e d’infanterie. Déjà, il aimait celle qui voulait devenir sa femme, et, étant au régiment, il lui envoyait de nombreuses cartes illustrées, dans lesquelles il lui dépeignait son amour en des termes enthousiastes, mais quelque peu violents. Cependant, sa future femme, Julia Charrois, qui est morte à l’âge de 29 ans, épousait M. Paul Demange, originaire de Frolois également.

Ce mariage fut de courte durée, car M. Paul Demange, peu de jours après la cérémonie nuptiale, était atteint d’une fluxion de poitrine qui l’emportait dans la quinzaine.

Didion continuait sa cour et deux ans après il épousait à son tour Julia Charrois.

Albert Didion est un garçon de taille moyenne, à la figure ronde, barrée d’une forte moustache blonde, coquettement frisée, au front découvert, surmonté de cheveux châtains assez longs, mais bien peignés. Il semble intelligent, ses yeux bleus, constamment en mouvement, dénoncent une certaine inquiétude de caractère, tandis que le menton, fort et carré, dénote une brutale énergie.

Il est vêtu d’un pantalon et d’un gilet de velours de couleur « feuille de chêne » à côtes, d’un veston de drap noir et coiffé d’une casquette.

Comme signe particulier, il porte sur la main gauche un tatouage représentant une ancre. Tout dans son ensemble montre un garçon vigoureux d’une force peu commune.

 

Les occupations de Didion

A son retour du service militaire, il revint habiter avec sa mère à Frolois, où bientôt il abandonna le travail des champs pour aller travailler aux forges de Neuves-Maisons, où son intelligence et sa conduite le firent désigner comme machiniste. Il était en effet employé dans l’aciérie, à diriger la machine à dégrossir les « blooms ». Son salaire journalier était de 7 francs.

Bon travailleur, Didion fit des économies et avant de se marier, il fit l’acquisition, moyennant le prix de 2,000 francs, d’une maison située dans la Grand-Rue de Frolois, à l’angle d’une ruelle donnant sur une autre rue parallèle.

 

La victime

Mme Didion, née Julia Charrois, est née à Frolois ; ses parents sont également tâcherons, travaillant pour le compte des propriétaires. Le père joint à cela le métier de bûcheron, allant travailler l’hiver dans les forêts pour exploiter les coupes. Elle a deux frères, dont l’aîné, Jules Charrois, est garde-forestier domanial à Rogéville, et le plus jeune, Camille, travaille aux usines de Neuves-Maisons.

Pendant plusieurs années, elle fut occupée comme servante chez l’ancien instituteur de la commune, qui était très satisfait de ses services.

Les nombreuses personnes que nous avons interrogées sont unanimes à déclarer que Mme Didion était une bonne mère, d’un caractère gai, très travailleuse qui, afin d’aider aux besoins de sa famille, faisait des ménages et lavait le linge pour diverses personnes.

La pauvre victime, que nous avons vue étendue sans vie sur une table où M. le docteur Pierre Parisot allait faire l’autopsie, était de petite taille, à la figure ronde et régulière, assez jolie, ayant le type caractéristique des habitantes de nos campagnes.

Si Mme Didion était d’un caractère enjoué, aimant à plaisanter, son mari était au contraire taciturne, aimant peu à causer, ne répondant bien souvent que par de courtes phrases ou par des monosyllabes aux questions ou aux boutades de ses camarades. Il passait aussi pour être violent. En effet, il y a une dizaine d’années, il portait un violent coup de bâton à M. Fisson, l’honorable industriel de Xeuilley ; il était condamné, pour ce fait, à 16 francs d’amende par le tribunal correctionnel de Nancy.

 

Le ménage Didion

Lorsqu’il fut marié, Didion s’installa dans la maison qu’il avait acheté ; les débuts du ménage furent heureux. Quatre enfants naquirent : Suzanne, âgée de 6 ans ; Yvonne, âgée de 5 ans ; Marie-Louise, âgée de 3 ans, et le plus jeune, Henry, âgé de 2 ans. Un cinquième bébé était attendu dans cinq ou six mois.

Si Didion était un excellent travailleur, il était aussi peu enclin à la dépense, car d’après certains témoins, il ne donnait que de petites sommes à sa femme pour subvenir à l’entretien du ménage, gardant vers lui l’argent de ses quinzaines, afin de pouvoir amortir les dettes qu’il avait contractées lors de l’achat de sa maison.

Mme Didion, qui s’en plaignait à diverses personnes, allait bien souvent chez ses parents pour avoir quelques secours, notamment des légumes.

 

La jalousie se montre

Ces temps derniers, l’attitude de Didion changea, il devint plus sombre, il faisait fréquemment des scènes à sa femme, lui reprochant d’aller chez un vieillard, cafetier dans la commune, dont elle faisait le ménage ; il lui reprochait d’avoir des relations avec ce vieillard.

Mme Didion se défendait avec énergie, soutenant son innocence, mais pour toute réponse son mari la giflait, ou la maltraitait.

Elle ne se plaignait de ses brutalités qu’à sa mère, ou à ses amies du même âge qu’elle.

Les scènes devinrent notamment plus nombreuses ces temps derniers et à divers habitants travaillant aux usines de Neuves-Maisons, Didion disait : « Il faut que cela finisse, un jour ou l’autre, je ne peux supporter que ma femme aille faire le ménage de celui qui me trompe. » Mais personne ne supposait que Didion, qui jamais ne s’enivrait, mettrait son projet à exécution.

Malheureusement, le meurtrier, avec son caractère enfermé et jaloux, devait mûrir lentement dans son cerveau l’idée de tuer sa femme qu’il soupçonnait de le tromper, et cette idée le hantant, il devait arriver à la mettre à exécution. C’est ce qui arriva le jeudi 7 janvier.

 

Préliminaires du crime

Cette semaine, Didion étant de service de nuit aux forges de Neuves-Maisons, prenait son travail à six heures du soir. Il partait par le train de quatre heures de demie à Pierreville, distant de 1,800 mètres de Frolois, pour aller jusqu’à Pont-Saint-Vincent et de là aux usines de Châtillon-Commentry, situées à Neuves-Maisons.

Jeudi matin, Mme Didion envoyait, comme elle le faisait chaque semaine, ses quatre enfants chez sa mère, qui les gardait pendant la journée. Elle allait ensuite au lavoir communal, situé à trois cents mètres de la maison, en contre-bas de la rue donnant sur l’église.

En arrivant au lavoir, Mme Didion causa avec une voisine, Mme Bronn, femme du garde-champêtre, à qui elle raconta que le matin elle avait été giflée par son mari. Ce fait fut confirmé par la jeune Suzanne, qui en arrivant chez sa grand-mère, lui dit : « Papa a battu maman. »

La journée se passa. Vers trois heures de l’après-midi, Didion vint s’accouder sur le parapet de la rue surplombant le lavoir et de là interpelle sa femme, lui disant : « Viens faire la soupe ; j’ai acheté des harengs. »

Mme Bronn, qui était encore présente, dit à Didion en plaisantant : « Vous feriez bien de payer le vin chaud. »

Il répondit d’un ton bourru : « Cela pourrait se faire », puis après avoir dit à sa femme de se dépêcher, il rentra à la maison.

Mme Didion quittait peu de minutes après le lavoir. Comme elle était chaussée de sabots, elle prenait ceux-ci à la main, afin de ne pas glisser sur le verglas avec la charge de linge qu’elle portait. Elle arrivait à son domicile vers quatre heures.

C’est peu après qu’elle était étranglée par son mari, poussé par un accès de jalousie arrivé au paroxysme.

 

Après le crime

Après son crime, Didion emportait son panier pour aller prendre son travail à l’usine. Il rencontrait dans la rue de la commune M. Arthur Alba, à qui il disait : « Au revoir ! Mais tu ne me reverras plus, ma femme est morte. »

Sur le chemin de la gare, Il rencontrait son beau-frère Camille, à qui il n’adressait aucune parole.

A l’usine, Didion travailla comme d’habitude, mais vers onze heures du soir, torturé par l’inquiétude, il alla voir M. Lardin, de Frolois, travaillant dans l’usine et lui dit : « Je ne sais ce qui me reste à faire, j’ai étranglé ma femme ! Je ne sais si je dois me jeter à l’eau ou aller à la gendarmerie me constituer prisonnier. » Lardin lui répondit : « Je n’ai pas de conseils à te donner, fais ce que tu veux. »

Ce n’est qu’à cinq heures du matin que Didion allait sonner à la caserne de gendarmerie, où il se constituait prisonnier, après avoir fait le récit de son crime.

 

La découverte du crime

C’est vers cinq heures que Mme Charrois envoyait sa petite-fille Suzanne chez ses parents. Celle-ci revenait lui dire aussitôt qu’elle n’avait trouvé personne à la maison.

Inquiète, Mme Charrois allait chez son gendre. Ne trouvant aucune lumière chez elle, elle fit acheter une bougie par la jeune Suzanne. C’est alors qu’elle découvrait dans le grenier sa fille qui ne donnait plus de signe de vie.

La pauvre mère, toute éplorée, allait prévenir l’adjoint, M. Boulangé, qui avertissait M. Vincent, maire. Ce dernier allait trouver M. le docteur Engel, de Flavigny, qui faisait sa tournée dans la commune. Ayant examiné la victime, il constata que la mort était due à la strangulation.

Une dépêche fut ensuite envoyée au parquet de Nancy.

 

Le parquet

Vendredi matin, M. Sadoul, juge d’instruction, son greffier, M. Bourgeois, M. le docteur Pierre Parisot, médecin légiste, et son préparateur, M. Midon, se rendaient à Frolois, où les magistrats étaient conduits à la maison des époux Didion par M. Buta, maréchal-des-logis de gendarmerie de la brigade de Neuves-Maisons.

Cette maison, formant angle, est très étroite. Une seule fenêtre donne sur la Grand-Rue.

La porte d’entrée s’ouvre sur la ruelle. La première pièce est une espèce de remise, au sol en terre battue ; derrière cette remise, est une cuisine, puis se trouve la chambre à coucher où, à côté du lit des époux Didion, se trouvent deux berceaux.

Dans la remise, prend pied une échelle de meunier, par laquelle on arrive au grenier où, à des cordes, est étendu le linge lavé par la victime et placé là quelques instants avant sa mort.

Les langes mouillés laissent tomber lentement sur le plancher, en tic-tac lugubre, leurs gouttelettes tout autour de la pauvre morte !

Après les constatations du magistrat, le corps est descendu du grenier dans la chambre du rez-de-chaussée où doit avoir lieu l’autopsie.

M. le docteur Parisot ayant examiné le corps, releva un sillon horizontal sur le devant du cou, mais aucune trace n’existait de l’autre côté.

Il en conclut que le meurtrier avait saisi sa femme par le col de son caraco qui, en comprimant violemment le larynx, l’avait étouffée.

Poursuivant son examen, le docteur constata que Didion avait dû serrer ensuite avec force sa femme au cou, alors qu’elle était à terre, car l’os de la mâchoire inférieure était brisé.

Il en conclut que la malheureuse n’avait souffert que quelques secondes.

 

L’arrestation de Didion

Comme Didion était resté à la caserne de gendarmerie de Neuves-Maisons, il fut amené à Nancy par le train qui y arrive à 3h48. A la descente du train, il fut conduit aussitôt dans le cabinet du commissaire spécial, où il fut interrogé par M. Sadoul.

Didion, qui manifesta un profond repentir, déclara au juge d’instruction qu’à sa rentrée à la maison, il avait bu un litre de vin gris, puis, entendant sa femme monter au grenier, il avait voulu en finir. Il était monté à son tour, lui avait demandé de ne plus aller chez celui qu’il suppose de le tromper et, sur le refus de sa femme, il l’avait terrassée et étranglée.

Il ajouta que si ses enfants avaient été à la maison, leur vue l’aurait ramené à de meilleurs sentiments et il n’aurait pas commis son crime.

Après cet interrogatoire, Didion a été conduit à la maison d’arrêt, où il a été écroué. Il sera à nouveau interrogé samedi par M. Sadoul, qui, avant de quitter Frolois, avait délivré le permis d’inhumer de la victime et avait fait saisir, comme pièce à conviction, le caraco en pilou dont elle était vêtue et qui a servi, on l’a vu, à l’étrangler.

– Ch. L.

 


L’EST REPUBLICAIN, Samedi 16 Janvier 1909

Chronique du Palais

L'assassinat de Frolois

M. Sadoul, juge d'instruction, a longuement interrogé Auguste Didion, qui étrangla sa femme

Est-ce la jalousie qui a provoqué le drame du 7 janvier, à Frolois ? Est-ce dans l'aveuglement d'un accès brusque de colère exaspérée jusqu'à la fureur qu'Auguste Didion a étranglé sa femme ?

Les interrogatoires du prévenu laissent deviner les causes de l’assassinat ; ils ne les ont pas précisées. Ou plutôt les questions de M. Sadoul, juge d’instruction, sont parvenues à établir qu’à l’insu de Didion, une obscure et lente poussée vers le crime a sourdement préparé la scène tragique.

Pendant des semaines et des mois, l’ouvrier machiniste a été torturé par le soupçon de ses infortunes conjugales. Il n’a jamais acquis la preuve de la trahison ; il semble même qu’il ne l’ait point recherchée ; il lui suffisait de « sentir » l’infidélité, pour justifier sa haine contre l’épouse adultère dont les dénégations n’ont pu lui rendre la confiance ni la tranquillité :

  • « Je n’ai jamais songé à exercer ma vengeance ; je n’ai jamais voulu tuer. Comment cela s’est-il fait ? Par quelle rage ou par quel irrésistible coup de folie ai-je vu rouge ? Je suis incapable de m’en rendre exactement compte… »

Mme Didion était une robuste commère. Une opulente chevelure se nouait en chignon sur la nuque. Presque jolie, séduisante en tout cas, rien dans sa conduite n’avait jusqu’alors motivé les reproches dont l’accablait son mari.

Premiers soupçons

Le 21 mai 1908, vers quatre heures et demie du matin, Auguste Didion se dirigeait vers la gare de Pierreville où il prenait ordinairement à 5h. 04 le train qui le conduisait à Neuves-Maisons, d’où il se rendait aux usines.

  • « Ma femme m’accompagna jusqu’au terrain situé non loin de la route que nous exploitions. On y cultivait des pommes de terre pour les besoins du ménage, explique Didion. En passant devant une maison habitée par M. Dombrot, elle toussa d’une façon particulière qui éveilla mon attention. Un soupçon m’envahit, M. Dombrot employait parfois ma femme pour les travaux de propreté dans son logement ; mais son grand âge et sa réputation le mettait à l’abri des malveillantes insinuations.
Café Dombrot, grande-rue, Frolois
  • Cette façon de tousser me parut un signal. Comme un brouillard épais couvrait la plaine, je pensai que Dombrot, prévenu de mon départ, devait retrouver ma femme dans le champ où elle se proposait de travailler durant une partie de la journée.

Je commençai à observer ma femme. Certains détails frappèrent mon esprit. Le soupçon grandit, me tortura. J’essayai de lutter, de résister contre les mauvaises pensées. Malgré moi, je posais à mon retour des forges de Neuves-Maisons, les questions qui devaient embarrasser celle que j’accusais déjà de me tromper. »

Auguste Didion obtint un jour la certitude que trois personnes ne l’avaient pas aperçue dans l’endroit où elle affirma avec énergie les avoir rencontrées.

  • « Son mensonge m’irrita. MM. Gardel, de Pulligny, Richard et Victor, de Frolois, m’avaient convaincu sans peine qu’elle me cachait l’emploi de son temps pendant mon absence. »

D’autres remarques semblèrent confirmer les soupçons de Didion. Il surprit les regards de sa femme dans la direction de la maison de M. Dombrot et la curiosité de M. Dombrot fixée sur sa propre maison :

  • « Un jour d’été, comme j’étais à la fenêtre de notre chambre du premier étage, je vis Dombrot entrer chez moi. Je crus qu’il se tenait dans une des pièces du logement et j’exerçai ma surveillance. Peu d’instants après le visiteur sortit :
  • « Qu’est-il venu faire ici ? »
  • « Je lui ai montré notre basse-cour »

Mais l’ouvrier machiniste se défend d’avoir médité, dès ce moment, un projet criminel. Le 5 octobre, en étudiant « la physionomie et les yeux » de sa femme (sic) ses doutes le reprirent et, quelques jours plus tard, ayant bu plus que de coutume, il chercha querelle à M. Dombrot :

  • « Je ne me rappelle pas les paroles que j’ai prononcé.  Ai-je proféré des menaces ? Je ne crois pas. Ni la pensée d’une vengeance, ni l’éventualité même d’un divorce ne m’ont troublé… »

 

L’assassinat

On arrive à la scène du jeudi 7 janvier. Auguste Didion est retenu aux forges de Neuves-Maisons par un travail de nuit. Il rentre chez lui vers 7 heures du matin…

M. Sadoul, juge d’instruction, s’efforce alors de reconstituer dans les moindres détails, même dans les circonstances en apparence étrangère à la conception du crime, tout ce qui projettera la lumière sur ce drame :

  • Avez-vous eu une discussion avec votre femme ?
  • Oui, la veille ou l’avant-veille… Pour un motif que je ne me rappelle plus, je l’ai giflée… Le 7 janvier, las d’une nuit passée à l’atelier, je me suis reposé. Il était midi quand je me levai. Mes enfants avaient déjeuné avec leur mère. Je demandai ma soupe.
  • « Je n’ai pas le temps…Il faut que j’aille au lavoir. Tu te serviras toi-même, répondit ma femme qui, tout en grondant, prépara son linge et quitta presque aussitôt la maison. »

Le magistrat interroge :

  • Qu’avez-vous fait alors ?
  • Je suis descendu à la cave. J’ai tiré du vin. De midi à 4 heures et demie, j’en ai bu un litre.
  • Etiez-vous ivre ?
  • Non… Vers deux heures et demie, un marchand de poissons cria sa marchandise dans la rue. J’achetai des harengs ; puis je me rendis au lavoir où ma femme m’adresse une recommandation. Elle me dit de placer les harengs dans l’eau fraîche et non dans l’eau chaude, ainsi que j’avais fait quelque temps auparavant.Elle rentra vers quatre heures. Mon train à Pierreville partait à cinq heures ; mais j’avais environ pour trente minutes de marche pour rejoindre la gare.
  • Est-ce qu’une nouvelle altercation éclata entre vous ?
  • Nous étions seuls dans la cuisine. Je n’étais en proie à aucun sentiment de jalousie. Vaguement, je pensai à M. Dombrot ; mais, sans une allusion qui pût motiver sa colère, je la priai d’arranger tout de suite les harengs, qu’elle mit en effet sur le feu. Puis elle monta au grenier, me laissant seul.
  • Vous ne tardiez pas à la suivre ?
  • En préparant le repas, ma femme exprimait son mécontentement ; elle parlait à voix basse. Je ne saisissais pas le sens de ses mots… Le linge qu’elle portait dans le grenier consistait en un complet de travail. Il me parut que, pour étendre les vêtements sur une corde, elle s’attardait outre mesure… C’est pour la presser que je la rejoignis.
  • L’idée du crime avait-elle germé dans votre cerveau ?
  • J’étais seulement en colère. La boisson m’avait légèrement surexcité : « Allons, lui dis-je, tu étendras ton linge après mon départ, sers-moi vite… » Elle refusa de descendre…

 

Etranglée

A ce point de l’interrogatoire, Auguste Didion est visiblement épuisé. Le récit du crime est fini d’une voix haletante :

  • Je me trouvais à sa gauche, dit-il… Un mouvement d’impatience me précipite vers elle. Ma main gauche s’abat violemment sur son cou… Je saisis le col de son caraco, par derrière… Je tire avec tant de force que ma femme perd l’équilibre, tombe à la renverse sur le plancher… Elle se débat… Un coup d’ongle m’égratigne le visage, près du nez… Mes deux mains étreignent le cou…
  • La lutte fut elle courte ?
  • Très courte, M. le juge… Ma victime s’est débattue… Je me suis penché sur elle… Elle ne bougeait plus… Elle était déjà morte… Mais je ne croyais pas l’avoir tuée. La scène avait duré quelques secondes. J’essayai de rappeler ma femme à la vie… Mais elle ne bougeait plus…
  • Vous avez abandonné le cadavre dans le grenier…
  • Oui, je suis descendu à la cuisine ; j’ai pris deux harengs et j’ai quitté la maison…

 

Didion se constitue prisonnier

Certaines constatations laissaient croire que le crime avait été commis, non dans le grenier, mais dans une autre pièce du logement.

M. Sadoul pose à ce sujet une question :

  • N’avez-vous pas avoué à un de vos compagnons d’atelier que vous aviez transporté au grenier le corps inerte de votre femme, après l’assassinat ?
  • Peut-être… Je n’avais guère le cœur au travail cette nuit-là. J’ai prié mon camarade Chaulassel de me remplacer au laminoir et, harcelé par les regrets de mon crime, je me suis retiré dans un coin du chantier…
  • Et bien, continue le juge, c’est alors que vous avez avoué l’assassinat à trois ouvriers, Auguste Lardin, Eugène Marchal et Paul Gérard, en indiquant à Lardin que la scène s’était déroulée dans la cuisine.

Mais Didion n’a pas gardé la mémoire de cette confidence. Il observe toutefois que l’escalier du grenier est raide et que le poids du cadavre eût rendu difficile, sinon impossible, une pareille opération.

  • Le vendredi 8 janvier, à cinq heures du matin, achève Didion, en sortant de l’usine, je suis allé directement à la gendarmerie, où je me suis constitué prisonnier. »

L’interrogatoire touche à sa fin.

M. Sadoul, pour résumer les explications du criminel et déterminer les causes de son acte, pose une dernière question :

  • A quels mobiles avez-vous obéi ?
  • J’ai perdu la tête… La jalousie m’a brusquement jeté sur ma victime… J’éprouvai une vive colère aussi des refus qui accueillirent mon désir d’être servi… Le vin que j’avais bu, monsieur le juge, a fait le reste… Ah ! je regrette bien, surtout à cause de mes enfants, tout ce qui s’est passé…

 

L’expertise

M. le docteur Parisot, médecin légiste, a déposé son rapport.

Nous croyons savoir que le distingué expert à conclu à l’asphyxie par strangulation, le col du vêtement de Mme Didion formant lien et la pression des mains autour du cou précipitant l’issue fatale. – A. L.


L’EST REPUBLICAIN, Mercredi 26 Mai 1909

 

Le MEURTRE de FROLOIS

 

Un mari qui tue sa femme

 

Accusé : Joseph-Albert-Auguste Didion, âgé de 36 ans, machiniste à Frolois – Ministère public : M. Simonet ; défenseur : Me Desnos.

 

 

Acte d’accusation

 

Auguste Didion, machiniste à l’usine de Neuves-Maisons, demeurant à Frolois, est né dans cette localité le 24 octobre 1872.

Dès l’âge de 12 ans, il fut placé comme domestique de culture ; il travailla comme manœuvre pour le compte de différents patrons.

En 1894, il entra à l’usine de Neuves-Maisons. A la suite d’une condamnation à un mois de prison pour coups et blessures, en 1901, il quitta cette usine, mais y fut repris dans le courant de l’année suivante.

Il se maria le 1er février 1902 avec Mlle Julia Charrois, née à Frolois le 25 mars 1879. Le ménage parut tout d’abord uni, mais bientôt le mari se montra violent et jaloux, il accusait sa femme d’avoir des relations coupables avec M. Dombrot, débitant à Frolois, et des scènes fréquentes eurent lieu à ce sujet entre les deux époux.

Didion, cependant, ne formule aucun fait précis venant confirmer ses soupçons qui, d’après l’information, ne semblent pas fondés.

Didion était un ouvrier laborieux ; les renseignements recueillis sur lui sont favorables, bien qu’il ait été condamné pour violence ; on le représente comme ayant un caractère sournois et sombre.

Le 7 janvier 1909, rentrant de son travail, vers sept heures du matin, Didion eut une discussion avec sa femme, qu’il gifla. Il se coucha et se leva vers midi. Une nouvelle querelle éclata entre les deux époux. Mme Didion partit alors au lavoir, et le mari, resté seul à la maison, but, sans avoir rien mangé, un litre et demi de vin, ce qui le surexcita sans cependant l’enivrer.

Mme Didion rentra du lavoir vers quatre heures. Sur la demande de son mari, elle se mit en maugréant à préparer le souper, car il devait partir à l’usine à quatre heure et demie. Elle monta ensuite au grenier pour étendre un complet de travail de Didion, qu’elle avait lavé l’après-midi. L’accusé l’y suivit, puis, dans un accès de colère, la saisit par derrière, lui prenant le col de son corsage, et ainsi lui serra fortement le cou en la jetant à terre.

Il acheva ensuite de l’étrangler avec ses mains.

L’instruction n’a pu établir que Didion avait prémédité son crime, mais il ne parait pas douteux que c’est bien volontairement qu’il a donné la mort à sa femme. Didion prétend qu’il s’est laissé aller à un mouvement de vivacité, qu’il a serré le cou à sa femme sans même qu’elle se débatte et qu’elle est morte de suite.

Il n’avait pas, prétend-il, l’intention de la tuer. Ce système de défense ne saurait se soutenir après les déclarations que Didion a faites étant encore sous le coup de l’émotion, à deux de ses camarades, Chaulassel et Massenot, qu’il retrouva à l’usine de Neuves-Maisons, où il se rendit après le meurtre.

Il leur dit qu’il avait serré le cou de sa victime pendant une dizaine de minutes, et qu’à un moment donné sa femme lui avait demandé pardon, mais qu’il lui avait répondu : « Non ! J’ai dit que je t’étoufferais, je t’étouffe ! »

Ces propos, certifiés par les deux témoins, démontrent la culpabilité de Didion.

A l’heure où nous mettons sous presse, l’audience continue.

 

Les débats

L’interrogatoire

Didion est un homme de taille moyenne, mais aux épaules carrées, dénotant une force peu commune. La figure aux traits durs, au front bas et fortement bombé, est barré d’une forte moustache brune. Didion doit être un homme volontaire, tenace, têtu. Il porte un vêtement complet de drap noir.

L’accusé répond facilement aux questions du président. Il reconnait la condamnation à son actif. Il travailla comme domestique de culture, puis chez son beau-frère, conducteur de bestiaux à Pont-Saint-Vincent ; fit son service au 69e à Nancy ; entra à l’usine de Neuves-Maisons, alla à Longwy, puis revint à Frolois où il se maria.

D.— « Vous avez entendu la lecture de l’acte d’accusation. Veuillez-vous expliquer ? »

R.— « Ma femme me dit le matin de fendre du bois. Comme j’étais fatigué de mon travail de la nuit, je refusais et lui dit de brûler du charbon. Une discussion s’éleva et je la giflai. Elle refusa de me faire à manger et alla laver au lavoir. Quand elle revint, la discussion reprit, et comme elle allait au grenier, je la suivis et je la serrais jusqu’à ce qu’elle tombât. »

D.— « Ces légères discussions ne sont pas des motifs pour tuer votre femme. N’aviez-vous pas d’autres motifs ? »

R.— « Si, elle me trompait avec M. Dombrot ; j’avais tout cela dans ma tête, et comme j’étais excité, je lui ai serré la gorge, je ne voulais pas la tuer. »

D.— « Vous aviez des soupçons sur votre femme, vous vouliez vous débarrasser d’elle ; vous l’avez même dit à deux témoins.

Interrogé par le juge d’instruction sur les relations de votre femme, vous avez dit que votre femme était allée bêcher dans un champ avec Dombrot et qu’une seconde fois, celui-ci était venu chez vous. Or, des témoins ont affirmé que votre femme avait causé avec eux lorsque Dombrot bêchait.

Ce dernier est un vieillard de 60 ans et n’a rien d’un « Don Juan »

R.— « Ma femme me trompait. Les témoins ne disent pas la vérité ! »

Le président insiste pour établir que Didion avait dit à des témoins avant le crime : « Il faut que cela finisse », et dans la nuit où il tua sa femme, s’adressant à des camarades de travail, il avait déclaré qu’il avait voulu tuer la malheureuse.

Didion, invité à nouveau à formuler les griefs qu’il avait contre sa femme, répète ce qu’il a dit précédemment et à la fin de son interrogatoire manifeste un profond repentir de son acte.

 

Les témoins

Neuf témoins ont été cités par l’accusation, neuf autres seront entendus à la requête de la défense.

Mme Charrois, mère de la victime, est âgée de 55 ans. Elle ne prête pas serment, le défenseur s’y opposant. Elle savait que sa fille, Mme Didion, était maltraitée par son mari, qui battait aussi ses enfants.

Sur la demande de M. l’avocat général, Mme Charrois témoigne que se fille lui a dit que son mari avait voulu la faire avorter. Son mari lui avait déclaré : « Un jour je t’en ai fait beaucoup. Je t’en ferai encore davantage ».

M. Gustave Dombrot, cafetier, est un vieillard aux cheveux blancs ; il raconte que Didion lui a reproché d’avoir aidé sa femme à bêcher.

Il proteste contre les allégations de l’accusé qui le représente comme l’amant de sa femme, faisant remarquer avec raison qu’à son âge on ne « court plus guère ».

A la suite d’une scène de jalousie de Didion, il dut renvoyer Mme Didion à qui il faisait faire quelques heures de travail par jour.

Mme Dombrot, femme du précédent témoin, occupait Mme Didion, qui se plaignait de n’avoir pas assez pour entretenir son ménage. Elle l’employait plusieurs heures par jour, lui donnant des robes pour ses enfants et les restes du ménage.

Le témoin rend hommage à l’honnêteté de Mme Didion. « Mon mari, ajoute-t-elle, à son âge, a assez d’une femme ».

Le président. – « Je n’ajouterai aucun commentaire ».

Mme Dombrot témoigne que plusieurs fois la victime se plaignit de la brutalité de son mari.

M.  Auguste Lardin, ouvrier d’usine, travaillait aux hauts-fourneaux à Neuves-Maisons. Le soir du crime, Didion vint le trouver dans son travail et lui dit : « Je viens d’étrangler ma femme, parce qu’elle ne voulait pas me faire à manger. Je vais aller me noyer. »

Le témoin ajoute que quelques jours auparavant, Didion lui avait dit : « J’en ai assez, il faut que cela finisse ». D’après la rumeur publique, Mme Didion passait pour être la maîtresse de M. Dombrot.

M. Jean-Pierre Gérard confirme la déclaration du précédent témoin.

M. le docteur Pierre Parisot a fait l’autopsie de Mme Didion, qui a succombé à la strangulation, due à la pression du col du corsage, qui avait laissé un profond sillon sur le cou.

D’après les traces relevées sur le cou, on constate que l’accusé sa femme en la serrant avec la main. L’os hyoïde a été brisé et une hémorragie s’était déclarée.

M. Auguste Chaulassel, travaillant au même poste que Didion. Celui-ci lui dit : « Je ne peux pas travailler, j’ai tué ma femme ; je vais me jeter à l’eau ».

Quelques minutes après, Didion revint vers lui en disant : « Je n’ai pas eut le courage de ma tuer » ; il fit alors le récit de son crime, disant : « Ma femme m’a demandé pardon, j’ai répondu : « Je t’ai dit que je t’étranglerais, je t’étrangle ». Puis l’accusé s’endormit d’un profond sommeil.

A cinq heures du matin, le témoin réveilla Didion en lui disant d’aller se constituer prisonnier à la gendarmerie. C’est ce qu’il fit.

M. Jules Massenot, machiniste, confirme de tous points la précédente déclaration.

M. Eugène Marchand, fondeur. A son travail à l’usine de Neuves-Maisons, Didion lui dit avoir tué sa femme. Comme il lui disait : « Elle n’est peut-être pas morte », il lui répondit : « Si, car je l’ai embrassée, elle était déjà froide ».

On entend ensuite les témoins appelés par la défense.

M. Jules Massé, ouvrier à l’usine de Neuves-Maisons, conduisit Didion à la gendarmerie. Il répète certains on-dit des habitants de Frolois relatifs à la moralité de Mme Didion.

M. Alba Richard, de Frolois, ne sait pourquoi il est cité, car il ne sait rien de l’affaire.

Mme Beauregard, de Frolois, vient dire que dans le courant du mois de mai 1908, étant à la fontaine, une femme aurait raconté que l’on avait vu M. Dombrot sortir la nuit de chez Mme Didion. Elle fait aussi le récit d’autres potins de lavoir dont elle ignore d’ailleurs la source.

M. Charles Guilleré ne sait rien de précis. Il dit cependant que Mme Didion avait tort de fréquenter M. Dombrot.

M. Jules Marchal, de Pulligny, a vu un jour M. Dombrot aller chercher Mme Didion.

M. Charles Bronn, garde-champêtre à Frolois, n’a pas cru aux racontars de la rumeur publique sur la conduite de Mme Didion qui allait chez M. Dombrot uniquement pour avoir quelques subsides.

MM. Victor Marchand, Arthur Gardel et Jules Remy ne se font que l’écho des bruits sans grand fondement sur la question d’inconduite de Mme Didion.

 

Les plaidoiries

M. Simonet, devant la matérialité des faits et les aveux de l’accusé a requis un verdict affirmatif qui pourra être atténué en raison des bons antécédents de Didion.

Me Desnos, défenseur de Didion, voit dans les faits un crime passionnel, provoqué par la jalousie de son client, qui a agi, dit-il, sous l’empire d’une extrême surexcitation. Il sollicite une réponse négative à toutes les questions, et par conséquent, l’acquittement.

 

Le verdict

Le jury a rendu un verdict déclarant que Didion s’est rendu coupable de coups mortel en lui accordant les circonstances atténuantes.

La cour a condamné Didion à cinq ans de réclusion.

 


L’EST REPUBLICAIN, Samedi 29 Mai 1909

Auguste Didion, de Frolois, bénéficie des circonstances atténuantes. En effet, il a étranglé sa femme, parce qu’il la soupçonnait d’entretenir avec un propriétaire voisin, M. Dombrot, des relations coupables. Or, c’est une erreur, paraît-il. L’adultère ne fut jamais consommé. Au fond, c’est la rumeur publique, ce sont les potins, les calomnies visant la conduite d’une femme honnête et fidèle qui ont armé le bras de Didion – Il mérite donc une réduction de peine.

 


L’EST REPUBLICAIN, Mercredi 2 Juin 1909

Didion se pourvoit en cassation contre l’arrêt de la cour d’assise qui l’a condamné.

 


L’EST REPUBLICAIN, Mercredi 7 Juin 1911

Didion va être gracié

 

Nous sommes en mesure d’affirmer que Didion, actuellement détenu à la prison centrale de Melun, où il subit une peine de cinq ans de réclusion, pour avoir, dans des circonstances encore présentes à la mémoire, étranglé sa femme en 1909, va bénéficier, d’ici peu, de la libération conditionnelle.

Voici une lettre qu’il a adressé récemment à un propriétaire de Frolois pour lui faire part de la mesure de clémence dont il va être l’objet et pour lui demander un engagement, condition nécessaire à sa libération.

 

MAISON CENTRALE DE MELUN

Le 28 mai 1911,

Nom et prénoms : Didion Albert.

N° d’écrou : 6.357. Atelier : chaînes

Les timbres, cartes-postales

illustrées et images seront

rigoureusement refusées.

 

Monsieur,

Cette lettre vous surprendra beaucoup, mais croyez bien, monsieur, que dans les circonstances où je me trouve, je dois compter sur votre bienveillance pour m’excuser de ma hardiesse et même aussi de mon importunité.

Je puis vous dire, monsieur, que dans quelques semaines, je pourrai, grâce au service que je vous demande, recouvrir la liberté et croyez bien alors que vous aurez droit à mon éternelle reconnaissance.

Mais pour participer à la libération conditionnelle, il faut que je puisse prouver aux autorités administratives que j’aurai du travail aussitôt libéré.

Donc monsieur, j’ai songé à vous parce que vous m’avez connu et que vous savez que je suis un travailleur. Donc, voudriez-vous être assez bon pour m’envoyer un certificat sur lequel vous me diriez que je puis compter sur vous pour me donner du travail à ma libération.

Puis-je croire à une réponse favorable, c’est dans cette attente que je vous prie d’agréer, monsieur, l’expression de mon profond respect.

Monsieur, je suis à l’attente de votre réponse.

« Didion »

 

Le destinataire de cette lettre s’étant empressé de satisfaire à la demande de Didion, il est donc très probable qu’il sera gracié, après avoir accompli la moitié de son temps (prévention comprise) à la date du 14 juillet.

Cette mesure de clémence sera presqu’unanimement approuvée. Car si Didion, emportée par une fureur jalouse, commit l’acte irréparable et profondément regrettable que l’on sait, il eut pour lui, dans la suite, sinon les juges, du moins l’opinion publique.

Nous avons trop le respect des morts pour en dire davantage. – C. B.