L’Éclair de l'Est, mardi 8 décembre 1931. Fascicule n. 9769.


LE NOUVEAU MIRACLE DE SAINT-NICOLAS

APRES VINGT-SIX ANS LE TRÉSOR DE SAINT-NICOLAS-

DE-PORT EST RETROUVÉ MYSTÉRIEUSEMENT

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LE TRÉSOR DE SAINT NICOLAS EST RETROUVÉ…

 

Il y a vingt-six ans hier, dans la nuit du 6 au 7 décembre 1905 exactement, un mystérieux inconnu s'introduisait dans la chambre du trésor de la basilique de Saint-Nicolas-de-Port et dérobait presque tous les reliquaires de métal précieux qu'on y avait replacés après la célèbre procession.

Ce sacrilège souleva alors une émotion considérable, une instruction fut ouverte et, bientôt abandonnée : on ne rencontrait aucune piste intéressante.

Cependant, des mains pieuses reconstituaient tant bien que mal, pour la procession suivante, le trésor pillé ; une procession sans reliquaire, c'est bien triste. On fit des maquettes en bois doré et ainsi le souvenir, au moins la tradition, ne put s'effacer.

Or samedi soir, au cours de la pittoresque cérémonie, que connaissent tous les Lorrains, M. le chanoine Guillaume, curé-doyen de la basilique, monta en chaire et annonça que les reliques étaient retrouvées, que les fidèles allaient pouvoir de nouveau leur rendre leurs pieux hommages. « Ne me demandez aucune explication, ajouta-t-il, je suis lié par un secret, je ne pourrais rien vous dires… »

Ainsi le mystère qui entourait déjà la disparition des reliques planait encore autour de leur restitution. Et les légendes commencèrent à naître, car les pierres et les meubles saints semblent posséder l'extraordinaire vertu d'exciter les imaginations : les reliques s'étaient trouvées comme par miracle disposées sur le maître autel à l'instant de la procession. Un inconnu, vêtu d'un manteau aux couleurs de murailles, était venu sonner la nuit à la porte du curé et lui avait remis le trésor dans un coffre, le voleur mourant lui avait confessé sa faute… Et que sais-je encore ? Tous les beaux romans qui enchantèrent, voire épouvantèrent notre enfance, renaissaient spontanément et, de la meilleure foi du monde, la légende, la Légende se préparait à devenir un peu l’histoire.

Professionnellement, hélas, nous devons être, nous, des tueurs de légendes. Malgré tout, nous sommes allé voir M. le curé. Non que nous nous proposions de lui demander de trahir en notre faveur sa parole sacrée — encore que nous en eussions eu la prétention, nous n'en aurions pas eu, du moins, l'audace — mais simplement parce que nous ne voulions pas être le dernier à venir vénérer les saintes et précieuses reliques.

M. le chanoine Guillaume voulut bien nous confier pourtant que la condition de cette heureuse restitution était de l'entourer du secret le plus absolu : une personne — messager peut-être du repentir — était venue le trouver, un jour, en lui disant : « Je sais où est le trésor… »

Et c'est ainsi qu'après vingt-six années exactement, alors que la prescription assurait le coupable de l'impunité, pour récompenser les fidèles de leur pieux attachement, saint Nicolas leur a fait rendre ses reliques.

Nous avons pu admirer un instant les beaux reliquaires dont on retrouvera plus loin une description ; fort heureusement ils sont revenus dans l’état où ils étaient partis, poussiéreux sans doute, un peu ternis par leur long séjour en quelque grenier ou en quelque cave, mais rien n'y manque, c'est l'essentiel.

Le bras dressé dans un geste magnifique de bénédiction, semble défier les appétits mesquins des hommes et le diamants et les pierres de couleur jettent leur éclat qui défie le temps.

Comme on comprend le grand frisson de foi et d'émotion qui prit les deux ou trois milles fidèles dans la nef samedi à l'annonce de l'heureuse nouvelle.

Maintenant la grande cathédrale est vide. La nuit tombe, la bise souffle par les vitraux, hélas encore délabrés. Trouvera-t-on un autre trésor, un trésor monnayable pour rendre au superbe édifice la santé à laquelle il a droit ?

Devant l'autel du saint patron de la Lorraine brûlent des cierges qui sont dans l'ombre une prière, de reconnaissance sans doute, surtout aujourd'hui. A gauche, la petite porte de la chambre du trésor garde son secret ; si les murs ont des oreilles, elle ne parlera pas : discrète, indulgente à ceux qui l'ont violentée, elle s'est simplement refermée sur son bien.

Sur le maître autel, saint Nicolas, le bras levé, trace sur les hommes repentants le signe émouvant du pardon.

P. T.

 

LES RELIQUAIRES RETROUVÉS

 

C'est une grande nouvelle et propre à réjouir les Lorrains dans le mois où tous, petits et grands, fêtent le saint patron du pays.

Les petits enfants de chez nous, lorsqu'ils se sont endormis au soir du 5 décembre, s'éveillent le 6 et vont, pieds nus vers la cheminée où ils trouvent ce qu'ils ont désiré.

Bien entendu, chacun sait que ce n'est pas là un miracle. Le retour du trésor n'en est pas un davantage.

Pour l'instant, on ne peut que se réjouir du fait et rappeler en même temps ce que représente, au point de vue de l'art et de l'histoire, le trésor de saint Nicolas.

Avant la disparition (cambriolage croyait-on) de ce trésor, il occupait les vitrines faites par Vallin d'un intéressant petit musée. Et c'étaient treize objets précieux que l'on n'avait plus jamais vus depuis 1905 et qui se trouvent maintenant récupérés.

La pièce principale est le fameux bras d'or, copie exacte de l’ancien, détruit au moment de la Révolution.

Ce reliquaire contenait le doigt bénissant qu'Albert de Varangéville avait, en 1098, rapporté de Bari, en Italie, lieu où se trouve la sépulture du saint. Une description complète du bras d'or se trouve dans l'ouvrage qu'Emile Badel a consacré aux « Grands jours de saint Nicolas ».

Saint Nicolas, thaumaturge vénérable, était invoqué jadis par ceux qui affrontaient la mer et ses dangers. Aussi le trésor contenait-il un charmant vaisseau d'argent dit « de Saint-Louis », à la carène rebondie et contenant de petits personnages sous sa gracieuse voilure.

Venait encore un buste en argent repoussé où brillait l’émeraude d'une mitre, don du roi de France Louis XIV.

Le n° 4 était la croix gothique d'un évêque de Metz, Conrad de Bâle. Le 5 : un ostensoir d'or, du fameux style dix-septième siècle, provenant des chanoinesses de Bouxières-aux-Dames.

6, 7 et 8 ; trois petits vaisseaux flamands d'argent ciselé offerts à la, basilique par souscription d'élèves de la Malgrange et de Saint-Sigisbert.

N° 9 : la magnifique croix processionnelle donnés par le marquis de Lambertye (a qui l'on doit les merveilleuses tentures de pourpre de la cathédrale de Nancy).

10 : une statue de Jeanne d'Arc dont nous ignorons l'origine et la valeur, mais qui devait rappeler le pèlerinage que fit la sainte avant d'aller accomplir sa mission.

11 : un ostensoir, beau travail de Drioton, contenant une relique de saint Pierre-Fourier cet autre grand Lorrain.

12 : un souvenir particulièrement curieux : le crucifix que Voltaire aurait personnellement donné à dom Calmet son ami.

Enfin le 13 était une réplique du fameux camée d'or de l'apothéose d'Adrien, dont l'original appartient à la bibliothèque de Nancy.

Treize objets d'art, treize souvenirs de nos pères… Les voilà retrouvés. Ils vaudraient, assurent certains, un million et davantage. Comment s'expliquer alors que des cambrioleurs ne les aient ni fondus, ni vendus, ni dessertis de leurs pierres précieuses, et qu'ils soient restitués intacts à la basilique ? Mystère… C'est, en l'an de grâce 1931, au jour de la fête du saint, le mystère — sinon le miracle — de Saint Nicolas !

R. d’A