PAR MARIE-JOSÈPHE GEOFFRAY, le Pays Lorrain, 1998, p. 193.
Le 29 novembre 1998 aura lieu à Mirecourt un colloque à la mémoire de Louis-Joseph Buffet, à l’occasion du centenaire de sa mort. C’est en effet dans cette ville qu’il naquit le 26 octobre 1818, d’une famille bourgeoise implantée en Lorraine depuis la fin du XVIIIe siècle, à Tendon dans les Vosges, puis à Épinal, enfin à Mirecourt, à la suite du mariage de son père Louis-François avec Marie-Adélaïde Moitessier d’une illustre famille locale.
Louis-Joseph Buffet reçut de ses parents une solide éducation, fidèle aux traditions de patriotisme, de probité, de labeur, de désintéressement dont son père fut le modèle vivant. En effet, celui-ci, Louis-François Buffet après s’être engagé à 17 ans comme dragon dans la garde impériale et avoir participé à de nombreuses campagnes de Napoléon, se consacra à la ville de Mirecourt, dont il fut maire de 1840 à 1844, et conseiller général des Vosges. Il s’intéressa à la valorisation des terres du château de Ravenel acheté en 1829 et y introduisit des procédés perfectionnés d’exploitation agricole. De son mariage naquirent trois enfants : Louis-Joseph, Aimé, polytechnicien et ingénieur des Ponts et Chaussées, auquel on doit l’aqueduc d’Arcueil, enfin Adèle, mariée à Octave Houdaille, conseiller à la Cour d’Appel de Nancy.
Louis-Joseph se destina d’abord à la carrière d’avocat. Jeune stagiaire, il était subjugué par l’éloquence de Thiers qu’il lui plaisait d’aller écouter à l’Assemblée nationale. « Jamais je n’ai vu un homme aussi éloquent et jamais je n’aurais cru que le geste d’un homme pût exprimer tant d’énergie et parfois tant de colère et d’indignation ». En 1840, il s’inscrit au barreau de Nancy, puis à celui de Paris, son précoce talent oratoire le fit remarquer de ses confrères qui le nommèrent secrétaire de la conférence des avocats. Il s’y lia d’une amitié indéfectible avec le duc de Broglie.
Après l’abdication du roi Louis-Philippe, le 24 février 1848, et l’instauration d’un gouvernement provisoire, il est nommé sous-préfet de Mirecourt. A peine âgé de trente ans, il est choisi comme candidat des Vosges à l’Assemblée nationale, le 23 avril, sur un programme très libéral. Le 4 novembre, il vota la constitution qui permit au prince Louis-Napoléon Bonaparte d’être élu Président de la République. Il reçut le 29 décembre le portefeuille de l’Agriculture et du Commerce qu’il détint jusqu’au 15 mai 1849, date de la démission du cabinet Odilon Barrot. Le 10 avril 1851, il occupa de nouveau ce poste dans le cabinet éphémère de Faucher, chargé de réviser les lois constitutionnelles. Louis-Napoléon n’acceptant pas la loi du 31 mai, restreignant le suffrage universel, le cabinet se retira le 14 octobre. L’orage est alors prêt à éclater : « L’Empire est fait » s’écria Thiers.
Le 2 décembre, c’est le coup d’état. Buffet, arrêté avec ses collègues, est détenu ensuite à Orsay et à Vincennes. Libéré, il se retire à Mirecourt, en 1852.
Buffet avait une aversion profonde vis-à-vis du pouvoir personnel : « La dictature exercée par la foule ou par un seul est toujours haïssable ». Dès 1848, il avait écrit : « Je demande que notre république soit un régime d’ordre, de liberté et de droit, et non un régime de despotisme et d’arbitraire ». Louis-Joseph est resté toute sa vie nostalgique du modèle politique anglais. Il avait toutefois pour Napoléon III beaucoup d’estime, mais écrivait-il « Je n’ai jamais hésité à lui être désagréable quand j’ai cru que l’intérêt public me dictait une conduite qui avait le malheur de lui déplaire. Je me suis promis à moi-même de sortir un jour de la vie politique en me rendant ce témoignage que je n’aurai jamais été guidé par aucune vue personnelle ». Il fut heureux de ces années en Lorraine : « Là seulement mon âme a toute sa force comme mon esprit toute sa vigueur ». Il consacra ce temps à l’exploitation de Ravenel.
En 1853, il épousa Marie Target, petite-fille de Jean-Baptiste Target, ancien Président de l’Assemblée nationale de 1790. Sept enfants naquirent dont André qui fut le chef du bureau politique du duc d’Orléans.
Le 17 janvier 1863, c’est le retour au parlement où il se fait remarquer par sa défense des principes parlementaires. En 1866, il fonda avec Emile Ollivier le Tiers-Parti qui, allié au centre gauche, obligea Napoléon III à opter pour une politique libérale aux élections de 1869. Il reçut le portefeuille des Finances dont il démissionna trois mois plus tard en avril 1870, ainsi que son ami Daru, alors ministre des Affaires étrangères, comme lui opposé au sénatus-consulte qui prévoyait la non consultation du Sénat en cas de réforme constitutionnelle. Hostile à la déclaration de guerre à la Prusse, ce fut lui que l’on chargea, avec quatre autres députés, après la capitulation de Sedan, d’aller convaincre l’Impératrice de renoncer à la régence, le 2 septembre 1870.
Après les élections législatives du 8 février 1871, Buffet, réélu, retrouva à l’Assemblée certains collègues comme le duc de Broglie et Dufaure. Mais un grand nombre d’hommes nouveaux, d’opinions plus avancées, venant du milieu parisien, changeait le climat politique bien que la droite restât majoritaire. La province avait choisi, quant à elle, des hommes d’ordre chargés de relever le pays ruiné par la guerre. Il n’a pas toujours été rendu justice au rôle prépondérant que joua Buffet à l’Assemblée nationale. On a souvent oublié dans quel état elle avait trouvé la France et dans quelle situation bien améliorée elle l’a laissée.
Cependant, cette assemblée avait été élue pour rétablir la monarchie. Thiers berna la droite en faisant élire comme président Grévy, député de la minorité. Dès lors, les différends entre Thiers et Buffet brisèrent leur amitié. Buffet lui reprochait son autoritarisme et sa liaison avec la gauche. Buffet entré dans la commission du budget s’opposa à Thiers à propos de son projet d’impôt sur les matières premières et eut le crédit de le faire rejeter par l’Assemblée. En avril 1873, après la démission de Jules Grévy, il est élu président de l’Assemblée nationale, contre Martel le candidat de Thiers. Jusqu’au 10 mars 1875, il en conserva la présidence. Il avait une haute idée de cette fonction, il était le gardien impitoyable du règlement qu’il brandissait le cas échéant. Il provoqua la chute de Thiers, alors président de la République, en ce mémorable 24 mai qui vit l’élection du maréchal de Mac-Mahon. Puis ce fut le vote des lois constitutionnelles et l’amendement Wallon organisant les pouvoirs du président de la République et le septennat, voté en janvier 1875 à une voix de majorité.
Le 11 mars 1875, Buffet était nommé vice-président du Conseil de ministre de l’Intérieur par une majorité de 479 voix. Mais une série de revers l’attendait après qu’il eut présenté son programme jugé trop conservateur. Après avoir échoué aux élections sénatoriales de janvier 1876 au sein de l’Assemblée, puis aux législatives du 20 février dans les quatre circonscriptions où il se présentait (les Vosges ne lui pardonnaient pas la chute de Thiers), il remit sa démission le 23 février.
Déçu par cette république qu’il avait contribué à fonder, et par sa politique antireligieuse, il pensa se retirer de la vie politique lorsque le Sénat le coopta, le 17 juin 1875. Devenu ainsi sénateur, inamovible, il se fit l’ardent défenseur des libertés religieuses durement mises à l’épreuve, ne craignant pas d’intervenir contre les violations des maisons religieuses.
Après sa mort le 7 juillet 1898, la presse célébra ses mérites disant de lui : « Monsieur Buffet n’était pas un parlementaire, mais le parlementaire ». Le journal de Lausanne, fit l’éloge de ce sénateur : « Depuis 23 ans, Monsieur Buffet était resté à son banc de droite, intervenant avec compétence, autorité et rigueur dans tous les débats, critique acerbe des actes financiers de la IIIe République, de ses lois scolaires et de sa politique antireligieuse. On l’écoutait avec une impatiente déférence, mais il était impossible de ne pas rendre hommage à la ténacité de ses opinions au soin qu’il mettait à tout approfondir.... Il était une des parures du Sénat ».